السبت, نوفمبر 23, 2024
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Zaher al-Ghafri invité de Souffle inédit

by admin

Souffle Inédit \Magazine d’art et de culture. Une invitation à vivre l’art

Sommaire de l’article

  Zaher al-Ghafri est né à Oman en 1956. Diplômé de philosophie de l’Université Mohamed 5 (Rabat, Maroc) en 1982, il a résidé dans de nombreux pays arabes et occidentaux dont l’Iraq, la France, les États-Unis et la Suède où il vit aujourd’hui. Poète, il a dirigé la revue al-Berwaz, qui s’intéresse notamment aux arts visuels. Lauréat du prix Kika de poésie en 2006, son œuvre a été traduite en anglais, espagnol, allemand, suédois, farsi et hindi. Parmi ses œuvres poétiques, nous pouvons citer : Sabots blancs (1983), Le silence vient se confesser (1991), Solitude débordant de nuit (1993), Fleurs dans un puits (2000), Ombres aux couleurs de l’eau (2006), Chaque fois qu’un ange apparaît dans la tour (2008), Pierre de sommeil et Le délire de Napoléon (2020).

Où placeriez-vous vos poèmes, ici traduits en français, dans l’ensemble de votre œuvre poétique ?

Zaher al-Ghafri. Ces poèmes se situent au cœur du projet poétique que je suis en train de mener actuellement. Ces textes sont les poèmes que j’ai écrits au cours de ces 7 ou 8 dernières années. Je n’ai certes pas cessé d’écrire, mais j’ai d’un temps à l’autre effectué des haltes qui m’ont procuré une forme de contemplation, sortes de signes me permettant de commencer chaque fois à nouveau. De toute manière, la poésie a besoin d’une force décuplée et c’est justement pour cela qu’elle n’est pas facile. Le poète a besoin de plonger, de descendre dans le monde souterrain pour chercher des traces de beauté. Le poète ressemble beaucoup à un pêcheur qui jette la ligne et qui attend longtemps avant que le poisson d’or ne morde à l’hameçon. À ce titre, la pensée est solidaire de la poésie parce qu’elle fond en elle comme le sel dans l’eau. La question de la mort, de l’absence ou de la perte sont également des sujets philosophiques, mais nous savons comment Heidegger a lu Hölderlin, Paul Celan et René Char qui était son ami. Et, puisque la langue est l’un des plus dangereux acquis, alors le poète lui enlève en permanence son écho pour la rendre à sa virginité première. C’est du moins ainsi que j’écris dans un état qui précède l’attente et l’étonnement. Et comme je n’écris pour personne, j’ai le sentiment de toucher les nuées de mes mains. Dans ce monde, je cherche la transparence dans la vie et l’écriture. Le fait d’avoir étudié la philosophie m’a aidé, non seulement à penser, mais encore à entrer dans la poétique ou la poésie d’une manière différente. Mon poème semble avoir un caractère sensationnel parce que je ne cherche pas à vivre dans l’abstraction et parce que, pour moi, le poème doit se heurter aux rythmes de l’univers qui sont pour la plupart des rythmes sensationnels des astres aux battements des gouttes de pluie sur les arbres et les trottoirs. Le poème en prose n’a pas de voix arrogante par rapport à ce qui existe, mais plutôt il vit avec ce qui existe en se servant de voix propre.

Votre voix est profondément arabe, mais votre langue poétique ainsi que vos références culturelles et intellectuelles sont profondément universelles. Comment expliquez-vous cela ?

Zaher al-Ghafri. Oui, il est vrai que j’écris en arabe, mais l’arabe que je pratique dépasse ce qui est local. Mes références culturelles et intellectuelles tendent, comme vous l’avez suggéré dans votre question, vers l’universel ou le mondial, parce que ma vie durant j’ai vécu dans de nombreux pays et villes d’occident. J’ai en effet vécu pendant un certain temps à Paris et à Londres. J’ai vécu pendant de nombreuses années à New York et en Suède où je réside maintenant. J’ai souvent séjourné en Espagne, en Allemagne, en Suisse et en Belgique. De même, j’ai personnellement rencontré quelques-uns parmi les plus grands poètes du monde à l’instar d’Octavio Paz, Joseph Brodsky, Derek Walcott, Merwin, Wole Soyinka, etc. une fois, à Londres, j’ai pris part à une soirée poétique en présence du grand poète irlandais Seamus Heaney. À cela s’ajoute ma connaissance de la plupart des poètes arabes de toutes les générations.

De quelle façon souhaitez-vous être lu par les Français ?

Zaher al-Ghafri. J’ai déjà vécu une expérience dans le cadre d’un festival de poésie à Lodève. C’était en arabe et en français. Je crois que c’était un succès, même si je n’étais pas sûr de la traduction en français. C’était en 2007. J’ai également lu en Espagne et il m’a semblé que le public était réactif. Dans la mesure où la langue française est extrêmement poétique, je crois que le lectorat français et francophone sera au rendez-vous et que mon texte arabe leur parviendra avec beaucoup de compréhension et d’amour.

Comment avez-vous choisi votre traducteur ?

Zaher al-Ghafri. J’avais déjà lu des textes d’Aymen Hacen, mais des amis poètes le considèrent comme l’un des meilleurs traducteurs de l’arabe vers le français et même du français vers l’arabe. Je suis ravi de collaborer et surtout de m’entendre avec lui. En témoignent les choix qu’il fait dans la traduction de mes textes.

Avez-vous d’autres œuvres qui attendent d’être traduites et publiées ?

Zaher al-Ghafri. Oui, je le souhaite vivement. J’ai beaucoup d’œuvres poétiques qui n’ont pas eu la chance d’être traduites et j’espère qu’elles le seront dans les prochaines années. À vrai dire, je crois en la fraternité poétique et je considère la poésie comme un champ où il est possible de comprendre l’autre et le monde.

Deux poèmes

Une fleur devant la porte de Mallarmé

Ce n’est pas un poème ce

N’est pas une mort ou une blessure de guerre ni une bulle dans la bouche du poisson

Comme ce n’est pas un avion en papier qui cherche les enfants

En permanence

Il y a une langue liée qui souhaite dire ce qui ne se voit pas

Ici un long chemin pour les enterrements

Un tableau ou une mémoire qui miaule sous l’ombre

Sous les escaliers bas

Quand les servants vont se coucher

Dans les chemins des petits contours

Je perds ma vie par la légère touche de la main de la mère

Et me voilà

Cueillant la fleur de la toile du peintre

Je l’ai déjà fait Mallarmé

Marie pendant que je m’adressais à Hegel

Et à la mort sous les étoiles dans un pays lointain

Des fois je sens comme si la douleur était une force au-dessus des vallées

Comme si la pommeraie à Fontainebleau

Signalait maintes fissures dans les têtes des dieux

Je suis un ancien détenu de la vie

Mais cette fleur

Je la pose ce soir devant ta maison

Écoute la mélodie Mallarmé !

Celle qui me mène vers toi en cette nuit froide

C’est une pierre dans le fleuve de ceux qui s’en vont

Et dans chaque source moult vagues

Qui se répandent vers les poches de Marie

Chaque chanson est un chemin pour la moitié de la forêt

Où se lève l’oiseau

Avec des ailes lourdes pour éclairer les cloches

Une voix qui ressemble à la mort

Appelle l’hôte lointain

Prends mon cadeau

Prends mon pain grillé au four

Voyageur

Nous avons tous voulu aller là-bas

Pour regarder dans la glace

Quand la maison sera vide

Mais ici aussi des morts vendent beaucoup de fleurs sous la neige

J’emprunterai ce chemin Mallarmé

Et pendant que je contemple un automne

Qui élève les souffles à la main du sculpteur aveugle

La lumière est aveuglante sur la Seine

Et un homme comme moi a besoin

De traverser un pont pour toucher les rives

Le vent est petit pareil à des vers de terre sur les feuilles

L’automne blond vole les couleurs du soleil

C’est pour cela que nous ne retrouverons pas nos enfants

Sauf jouant sur des collines à l’ombre

Laisse-moi crier un peu

Quand Marie parle dans une langue

Entremêlée d’algues

Laisse le lit chanter sous les étoiles

Heureux qui dort absent quand il s’arrête de pleuvoir

J’ai trouvé cela au carrefour de ma vie

Sur une table en cuivre –

Turquoise dans la pommeraie

Ô Mallarmé pour que je prie…

Sur les hauteurs

Dort le cahier du poète en route pour Paris

Et ici un dé supplémentaire

Lancé dans l’air bleu

Une étoile emmenant une personne à personne

La fleur est inconnue devant

La maison

Peut-être deviendrons-nous encore plus beaux après la mort

(Extraits d’un texte écrit en 1991 quand le poète résidait à New York)

Peut-être avons perdu une seule nuit

Peut-être avons-nous perdu la terre de la parole

Pour que ce vent transporte

Les coquilles de nos bouches

Dans le désert

Peut-être parce que notre isolement

Déborde de la nuit

Que nous avons laissé la porte ouverte

Et nous ne sommes pas entrés

Puis nous avons entendu nos cris

Venant de loin

Ou

Peut-être parce que nos péchés

Ont fleuri dans les psaumes

De l’enfance

Des bergers sans boussole

Qui se livrent à la contrebande des jarres des dieux

Et boivent

L’ombre distillée des arbres.

Peut-être deviendrons-nous encore plus beaux après la mort

Et nous entendrons quelqu’un dire : Regarde

Comment les poissons sautillent

De leurs yeux

Et pour que la nostalgie paraisse un peu plus vieille

Que nos âges

Nous contemplons toujours l’éclat du couteau

Sur le lit

Ou au bord de la tombe

Photo de couverture @Koutaiba

Aymen Hacen

Poésie 

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