الجمعة, نوفمبر 15, 2024
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Le budget Girard pourrait nuire à l’industrie du jeu vidéo au Québec

by admin

RCI / Stéphanie Dupuis

Les studios de jeux vidéo du Québec, particulièrement les petits, devront se serrer la ceinture dans les prochaines années avec le nouveau budget du gouvernement de François Legault, qui revoit à la baisse des crédits d’impôt pour ce secteur.

Depuis les années 1990, l’industrie vidéoludique a connu un grand essor dans la province grâce, entre autres, à de généreux crédits d’impôt.

Elle reçoit notamment une aide financière de 7,5 % – offre inchangée dans le nouveau budget– afin de produire des jeux vidéo dans la langue de Tremblay.

Un autre crédit, celui pour la production de titres multimédias (CTMM), sert pour sa part à soutenir les emplois. Le ministère des Finances prévoit faire passer le crédit de la CTMM de 30 % à 20 % au cours des quatre prochaines années.

L’écart de 10 % sera désormais non remboursable, ce qui signifie que les entreprises devront payer des impôts au Québec pour en profiter et que celles qui ne sont pas rentables verront leur aide diminuée

Même scénario du côté d’un autre crédit : celui pour le développement des affaires électroniques (CDAE).

L’industrie reçoit 30 % de crédit d’impôt et la partie non remboursable de celui-ci passera progressivement de 6 % à 10 % d’ici 2028.

Effet pervers pour les petits studios

Le souci qu’on a présentement, c’est qu’à moyen terme, entre 2025 et 2028, ces changements vont affecter les entreprises que le gouvernement ne voulait pas toucher, c’est-à-dire les petits studios, affirme Jean-Jacques Hermans, directeur de la Guilde du jeu vidéo du Québec.

Sabotage (Sea of Stars (nouvelle fenêtre)), Thunder Lotus Games (Spiritfarer) (nouvelle fenêtre), Red Barrels (Outlast (nouvelle fenêtre)), KO OP (Goodbye Volcano High) sont tous de petits studios indépendants qui ont connu un succès à l’international ces dernières années et qui ont vendu des millions d’exemplaires de leurs jeux.

Si le gouvernement avait pris des décisions semblables il y a cinq ou six ans, ces studios ne seraient plus là, affirme le directeur de la Guilde, dont 228 des 330 membres sont des studios de 10 personnes ou moins.

Pour ce qui est des grands studios de jeux vidéo, qui représentent de 9000 à 10 000 des quelque 14 500 travailleurs de l’industrie au Québec, l’effet du nouveau budget se fera sentir, mais dans une moindre mesure.

D’après des calculs préliminaires de la Guilde, cela représentera de 13 à 15 % de moins d’argent disponible pour réinvestir dans leur studio en 2028.

Les grandes entreprises seront aussi les seules à pouvoir bénéficier du retrait du plafond salarial, établi auparavant à 100 000 $ par la CTMM, une nouvelle mesure annoncée dans le budget du ministre Eric Girard.

Selon Thomas Burelli, professeur au département de droit civil de l’Université d’Ottawa, le gouvernement Legault souhaitait plutôt cibler ces grandes entreprises avec ses nouvelles mesures.

Ce sont 15 entreprises de jeux vidéo au Québec qui touchent 75 % de la valeur du crédit multimédia (CTMM). Et elles ne sont pas contrôlées à partir du Québec, insiste le spécialiste en droit du jeu vidéo, citant des données de 2019 publiées dans un rapport de l’Université de Sherbrooke.

Selon ce même rapport, en 2019, la majorité des entreprises bénéficiant du CTMM (120 sur 196) n’avait pas payé d’impôts au Québec.

D’après Thomas Burelli, ce serait difficile pour le gouvernement de justifier un statu quo sur ces crédits d’impôt dans un contexte de plein emploi et de pénurie de main-d’œuvre. Ce crédit a été mis en place dans un contexte de 10 % de taux de chômage, rappelle-t-il.

Une industrie mise à mal

L’industrie du jeu vidéo connaît des années difficiles, cumulant plusieurs mises à pied, en raison notamment du contexte postpandémique et inflationniste.

Du côté des studios québécois, ce sont surtout ceux détenus par de grandes entreprises internationales qui ont subi d’importantes coupes. Eidos-Montréal, une propriété du groupe suédois Embracer, a récemment supprimé 97 postes (nouvelle fenêtre), et Beenox, établi à Montréal et à Québec (nouvelle fenêtre), a subi les soubresauts de restructuration d’Activision-Blizzard (nouvelle fenêtre), en lien avec son rachat historique par Microsoft en octobre dernier. (nouvelle fenêtre)

Tout indique que les difficultés ont gagné certains studios détenus par des intérêts locaux, d’après Jean-Jacques Hermans. On a récemment fait une mise à jour plus approfondie et on a remarqué une diminution du nombre d’employés dans les plus petits studios. C’est moins visible, mais ça a tout de même lieu, soutient-il.

Et maintenir ces modifications rendra le Québec et ses entreprises perdants, au profit des provinces voisines ou encore de territoires tels que l’Australie et les pays d’Europe, qui se mobilisent actuellement pour attirer des studios afin de développer leur écosystème local, insiste la Guilde.

Thomas Burelli rappelle que le Québec offrait jusqu’ici certains des meilleurs crédits d’impôt dans le monde En France, le taux de remboursement sur les salaires est de 30 %. Au Royaume-Uni, ça se situe entre 20 et 25 %. Dans le monde en général, c’est de 15 à 20 ou 25 %. Au Québec, entre 30 et 37 %. Mais là, ça va descendre.

Le Québec deviendra ainsi moins intéressant que l’Ontario, mais plus que la Colombie-Britannique, sur cet aspect, selon l’expert.

Il insiste sur le fait que les dépenses en ressources humaines ne constituent pas le seul critère encourageant les entreprises étrangères à s’installer dans la province.

Il note les règles d’immigration, la formation, mais aussi l’accès à la main-d’œuvre, une donnée importante à laquelle répond parfaitement Montréal, qui compte plusieurs universités formant la relève en ingénierie logicielle, entre autres.

Des solutions proposées

Néanmoins, Jean-Jacques Hermans demeure lucide : On n’est pas contre l’idée que les entreprises doivent payer leur juste part.

Il propose notamment de taxer les revenus des studios, lorsqu’il y en a. En effet, une personne qui s’ouvre un studio va mettre de deux à trois ans à publier son premier jeu vidéo et potentiellement faire des profits, une réalité que le gouvernement semble ignorer, selon le directeur de la Guilde.

L’organisation demande ainsi que le gouvernement rencontre les entreprises afin de se sensibiliser aux impacts de cette décision. Elle affirme également que la province est forte de studios à 86 % de propriété québécoise et que son expertise, reconnue mondialement, a permis de contribuer à hauteur de 1,31 milliard de dollars au PIB du Québec.

Le géant français Ubisoft, qui compte des studios à Montréal, mais aussi à Québec, à Chicoutimi et à Sherbrooke, a dit soutenir la Guilde et analyser l’impact des mesures proposées sur ses opérations.

Nous tenons à rappeler que l’industrie du jeu vidéo est devenue au fil du temps un véritable fleuron pour le Québec. Elle amène une vitalité économique en plus de créer de la richesse partout en région, déclare Antoine Leduc-Labelle, chef des relations publiques d’Ubisoft Montréal.

Le studio montréalais Behaviour Interactif, qui a connu une importante expansion ces deux dernières années, affirme avoir été surpris par la nouvelle, mais dit qu’il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de ces changements. Le développeur de Dead by Daylight compte rencontrer les membres du gouvernement au cours des prochaines semaines.

Plusieurs studios ont refusé de s’entretenir avec Radio-Canada, la Guilde du jeu vidéo ayant donné la directive de lui envoyer les demandes des médias.

Les crédits d’impôt versés à l’industrie du jeu vidéo, du secteur des technologies de l’information et des effets spéciaux ont coûté environ 850 millions à Québec en 2023, selon Québec. Les changements annoncés devraient lui permettre de récupérer 365 millions de dollars par an.

Le budget annoncé par le gouvernement est le plus déficitaire de son histoire, avec un manque à gagner de 11 milliards de dollars.

Stéphanie Dupuis

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