الخميس, ديسمبر 26, 2024
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Protection de l’enfance : un « moment historique » pour les Autochtones

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RCI / / Marie-Laure Josselin – Simon Filiatrault

Dans une décision unanime, la Cour suprême du Canada a rejeté l’appel du Québec et accueilli celui du Canada, (nouvelle fenêtre) en jugeant constitutionnelle la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

Cette victoire « historique » est avant tout celle des enfants autochtones qui sont « les grands gagnants », estiment plusieurs organisations et chefs autochtones, qui voient dans la décision tant attendue de la Cour suprême « l’écriture d’une nouvelle page ».

Il s’agit d’un pas important vers l’avant, s’est réjouie la cheffe nationale de l’Assemblée des Premières Nations (APN), Cindy Woodhouse Nepinak.

Les Premières Nations n’ont jamais renoncé à leur compétence sur leurs enfants et leurs familles, qui existe depuis des temps immémoriaux. Les Premières Nations conservent le droit inhérent et constitutionnel de s’occuper de leurs enfants et de leurs familles, ainsi que le droit sacré que leur a conféré le créateur d’élever leurs enfants dans le respect de leur culture, de leur langue et de leurs traditions, a-t-elle indiqué.

Ce message fait écho à celui du chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), Ghislain Picard, pour qui les Premières Nations ont toujours été les mieux placées pour assurer le mieux-être de leur population et elles n’ont jamais cédé leurs droits ni délégué un gouvernement.

Pour Cindy Blackstock, la directrice générale de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, qui se bat pour la protection des enfants autochtones depuis des décennies, c’est tout le pays qui en sort gagnant.

Aujourd’hui, ce sont les enfants qui ont orienté la Cour suprême, et c’est une bonne chose, a-t-elle lancé. Lorsque nous élevons des générations d’enfants en bonne santé et fiers de ce qu’ils sont, tout le monde en profite dans la société, et certainement le Canada, a-t-elle précisé en entrevue à Espaces autochtones.

La professeure Cindy Blackstock estime si les gouvernements choisissent de ne pas mettre en oeuvre la loi afin de réparer les torts du passé, alors les organismes autochtones devront «utiliser des mécanismes de justice pacifique et aimante pour s’assurer qu’ils le fassent».
Photo : Radio-Canada / Laurence Niosi

Toutefois, elle refuse d’y voir une victoire définitive, la balle étant dorénavant dans le camp des gouvernements de mettre en application la loi fédérale et de fournir les ressources nécessaires, selon Cindy Blackstock.

Ottawa en joie, Québec prend acte

Le premier ministre Justin Trudeau a accueilli avec grande joie cette décision qui, selon lui, conforte la volonté et le plan de son gouvernement pour la réconciliation.

Pendant trop longtemps, les enfants à risque ont été enlevés de leur communauté, envoyés loin de leur langue, loin de leur culture. Ça a eu des échos et des impacts sur des décennies de perte d’identité et de culture. Donc, avec C-92, on a su créer des partenariats pour livrer des soins et des services pour appuyer les jeunes dans leur communauté. On va continuer de faire ce travail, parce que c’est un élément essentiel de la réconciliation, a précisé Justin Trudeau.

De son côté, le gouvernement québécois a indiqué dans un communiqué prendre acte du jugement et a réitéré que son désaccord a toujours été avec le gouvernement fédéral, et non pas avec les Premières Nations et les Inuit.

Compte tenu des importantes répercussions du jugement, Québec va continuer d’analyser attentivement la décision rendue par la Cour suprême. La province a aussi tenu à mentionner que, selon elle, le gouvernement fédéral se doit de travailler avec le Québec plutôt que d’agir unilatéralement.

Québec invité à changer

Le chef de l’APNQL, Ghislain Picard, n’a pas attendu la réaction du gouvernement Legault avant de l’interpeller et de remettre en cause sa volonté politique. Québec est la province qui a contesté la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis.

Ghislain Picard a demandé au gouvernement québécois de cesser de nier la légitimité des gouvernements autochtones et de reconnaître et respecter la compétence des Premières Nations à se gouverner.

Ghislain Picard, chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador, souhaite discuter rapidement avec Québec.
Photo : Radio-Canada

Nous avançons maintenant l’écriture d’une nouvelle page de notre histoire et nous demandons au gouvernement du Québec de s’impliquer activement, mais surtout sincèrement et respectueusement dans l’application des lois que les Premières Nations choisiront de développer, d’adopter et de mettre en œuvre, a lancé le chef Picard.

On vient de perdre quatre ans pour nos enfants, a-t-il répété, invitant Québec à s’asseoir à une table pour ouvrir le dialogue. La loi fédérale est entrée en vigueur en 2020.

D’autant plus, selon lui, que la décision d’aujourd’hui trace une voie qui va au-delà de la réconciliation et qui appelle à la collaboration avec les autres ordres de gouvernements.

Dans son communiqué, Québec a précisé être d’accord avec l’objectif de favoriser l’exercice, par les Premières Nations et les Inuit, d’une plus grande autonomie en matière de protection de la jeunesse, en harmonie avec le régime québécois. Il a rappelé les modifications à sa propre Loi sur la protection de la jeunesse et a assuré vouloir continuer de travailler en collaboration avec les Premières Nations et les Inuit.

Émotion et espoir

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, une cinquantaine de groupes ou de communautés, dont neuf au Québec, ont fait part de leur intention d’exercer leur compétence en matière de services à l’enfance et à la famille.

De plus, 38 corps dirigeants autochtones ont déposé une demande d’accord de coordination tripartite. Parmi ceux-ci, 11 ont adopté leurs propres lois. Quatre l’ont fait sans avoir conclu un accord de coordination, dont le Conseil des Atikamekw d’Opitciwan.

Jean-Claude Mequish, chef de la communauté atikamekw d’Opitciwan, lors d’une conférence de presse à Ottawa juste après la décision de la Cour suprême.
Photo : Radio-Canada

Visiblement ému en conférence de presse à Ottawa, le chef d’Opitciwan, Jean-Claude Mequish, a martelé que c’est un moment qu’il n’oubliera jamais.

Venu avec des membres de sa communauté, surtout des femmes et des enfants, il a rappelé que le moment est historique et qu’il était attendu.

Car Opitciwan a adopté sa propre loi sur la protection de l’enfance depuis deux ans. Depuis, on a rencontré beaucoup d’embûches à la mettre en œuvre, à cause surtout de l’absence des représentants de Québec aux rencontres tripartites.

Au cœur de cette loi se trouvent trois principes : la continuité culturelle, l’intérêt de l’enfant et l’égalité réelle. Or, de nombreux enfants qui ont grandi loin de la communauté atikamekw ont perdu leur langue, leur culture et n’ont jamais pu s’adapter, a lancé Jean-Claude Mequish.

Les chefs des neuf communautés de la nation Innue du Québec ont accueilli avec espoir la décision.

L’adoption prochaine de notre loi sur la bienveillance assurera que tous les jeunes de Uashat mak Mani-utenam soient traités avec la dignité qui leur est due et dans le respect de leur culture, a dit le chef de Uashat mak Mani-utenam, Mike Mckenzie.

Les neuf chefs s’attendent donc à ce que Québec respecte l’autonomie gouvernementale de chacune de leurs communautés et favorise la mise en œuvre de leurs propres lois en matière de services à l’enfance et à la famille.

Les Premières Nations Anicinape d’Abitibiwinni, de Kitcisakik, de Lac-Simon et de Long Point ont confirmé, dans un communiqué, qu’elles poursuivaient, ensemble, leurs démarches en vue de prendre en charge (nouvelle fenêtre) l’ensemble des services à l’enfance et à la famille.

La décision de la Cour suprême est claire : nous avons le droit inhérent d’adopter nos propres lois en matière de protection de la jeunesse. Et c’est ce que nous allons faire, a souligné la cheffe de la Première Nation d’Abitibiwinni, Chantal Kistabish.

Chaque communauté fera avancer ses lois à son propre rythme, a prévenu le président du conseil d’administration de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et Labrador, Derek Montour. Car toutes ne sont pas au même point au Canada. Certaines préparent le terrain, d’autres ont déjà leur loi.

Pour la Première Nation de Cowessess en Saskatchewan, qui a été la toute première nation autochtone à opter pour le régime découlant de la Loi, cette décision lui permet d’avancer plus aisément dans l’exercice de sa compétence en matière de services à l’enfance et à la famille.

Nous reconnaissons non seulement la nature festive de cette journée, mais aussi la responsabilité qui continue de peser sur nos épaules et la confirmation que nous n’avons jamais cédé ou abandonné notre juridiction […] cela nous permet d’aller de l’avant avec moins d’obstacles, a déclaré la cheffe Érica Beaudin en entrevue à Espaces autochtones.

Il était temps!

L’organisation Femmes autochtones du Québec (FAQ) espère que cette annonce mettra fin à la réticence du gouvernement du Québec de collaborer avec les communautés et organismes autochtone (nouvelle fenêtre)s désireux de mettre sur pied des systèmes autonomes, responsables et efficaces.

Sa présidente, Marjolaine Étienne, a exprimé sa profonde satisfaction à l’égard du jugement. La décision concerne particulièrement les femmes autochtones, qui sont les plus souvent à la tête de familles monoparentales et qui doivent faire face à de nombreuses conséquences insidieuses du racisme et de la discrimination systémiques, mais qui sont aussi des actrices incontournables pour la transmission de la culture et de la langue, a-t-elle déclaré.

La sénatrice innue Michèle Audette a avoué avoir pleuré à l’annonce de la décision de la Cour suprême. On s’est dit : ”enfin, il était temps”. Il était temps que les gens comprennent qu’on est capable de faire ce qu’on veut faire et ce qu’on fait depuis toujours, mais dans un système qui n’est pas naturel.

Marie-Laure Josselin – Simon Filiatrault

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