الخميس, ديسمبر 26, 2024
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Enfance autochtone : 5 questions pour comprendre la décision à venir de la Cour suprême

by admin

La Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis a pour effet, entre autres, de céder la prestation des services relatifs à l’enfance et aux familles aux communautés autochtones, ce qui est inédit en droit canadien. Le Québec conteste sa constitutionnalité devant le plus haut tribunal du pays.

  • RCI / Simon Filiatrault

La Cour suprême du Canada rendra vendredi une décision très attendue sur une loi fédérale contestée par Québec et qui confère une grande autonomie aux communautés autochtones en matière de protection de la jeunesse.

Toutes les Premières Nations pour lesquelles on travaille l’attendent. Ça fait très longtemps qu’on n’a pas eu un jugement aussi important, affirme Christina Caron, avocate chez Cain Lamarre et enseignante en droit autochtone et constitutionnel depuis 10 ans.

Espaces autochtones vous propose quelques clés pour comprendre ce débat juridique aux multiples ramifications et dont l’issue pourrait avoir des implications diverses.

  1. Qu’est-ce que la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis?

Connu surtout sous le nom de projet de loi C-92, avant son adoption, ce texte législatif est entré en vigueur le 1er janvier 2020 (nouvelle fenêtre), soit presque une année après son dépôt à la Chambre des communes par le ministre fédéral des Services aux Autochtones de l’époque, Seamus O’Regan.

Il y a une première section où on retrouve des standards minimaux à respecter dans la fourniture de services aux enfants [autochtones]. Ces principes incluent le fait de s’assurer qu’il y ait une continuité culturelle dans les services qui sont rendus ainsi que l’obligation de respecter un ordre de priorité dans les placements des enfants. Selon l’avocate, ce seuil minimal s’adresse principalement aux provinces.

La deuxième partie de la Loi, c’est la partie où le gouvernement fédéral va un peu plus loin, et il reconnaît dans sa loi que les [Autochtones] peuvent adopter des lois en matière de services à l’enfance et à la famille dans leur communauté, poursuit-elle.

C’est tout à fait nouveau, le fait d’adopter des lois, et non de simples règlements, comme c’était le cas en vertu de la Loi sur les Indiens.

Une citation de Christina Caron, avocate et enseignante en droit autochtone et constitutionnel

L’avocate précise d’ailleurs que le gouvernement fédéral reconnaît que ce n’est pas sa loi qui est la source de ce pouvoir-là, mais bien la Constitution, c’est-à-dire l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982.

Or, il importe de distinguer le fait de reconnaître un droit constitutionnel inhérent du fait de déléguer un pouvoir, comme c’est le cas, par exemple, sous la Loi sur les Indiens. La nouveauté de cette loi fédérale résiderait en cette reconnaissance.

Avocate depuis 2006 et enseignante en droit autochtone et constitutionnel, Me Christina Caron accompagne plusieurs communautés autochtones à travers le Québec dans leur gouvernance politique. Elle attend avec impatience le jugement de la Cour suprême vendredi.
Photo : Courtoisie du cabinet d’avocats Cain Lamarre

  1. Pourquoi le gouvernement fédéral a-t-il adopté une telle loi?

Le contexte d’adoption de cette loi-là, c’est un contexte où il y a eu plusieurs commissions d’enquête dans les dernières années qui ont recommandé et incité les gouvernements à prendre des mesures pour lutter contre la surreprésentation des enfants autochtones dans les systèmes de protection de la jeunesse, soutient Me Caron.

Parmi elles, il y a la Commission royale sur les peuples autochtones, la Commission de vérité et réconciliation du Canada, la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation et progrès (commission Viens) et l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées.

Cette lourde surreprésentation des enfants autochtones au sein des services de protection de la jeunesse semble perdurer de manière marquée encore aujourd’hui. En 2007, la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations et l’Assemblée des Premières Nations ont déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.

L’argument de fond visait alors le sous-financement chronique des services à l’enfance autochtone. L’affaire avait été portée devant le Tribunal canadien des droits de la personne. En 2016, le Tribunal avait donné raison aux plaignantes (nouvelle fenêtre) en concluant que le Canada agissait de manière discriminatoire dans la fourniture des services à leurs membres.

Deux ans après cette décision, le Canada réunissait des représentants provinciaux, territoriaux et autochtones pour amorcer un processus urgent de réforme. C’est ainsi que, à l’issue de ces discussions, le gouvernement fédéral a présenté le projet de loi C-92 qui reconnaît que les Autochtones sont les mieux placés pour identifier et mettre en œuvre les solutions en matière de protection de l’enfance.

  1. Quel est l’intérêt pour les Autochtones d’opter pour le régime constitué en vertu de cette loi?

L’enfance et la famille constituant la principale courroie de transmission des marqueurs de l’identité autochtone, la réappropriation par les Autochtones des services à l’enfance et aux familles est primordiale, puisqu’indissociable de leur épanouissement culturel.

Jusqu’à l’adoption de cette loi, la reconnaissance de l’autonomie gouvernementale des Autochtones passait soit par des ententes de délégations entre gouvernements (fédéral et provincial), soit par des accords tripartites (le fédéral, la province et l’organisation autochtone). Or, ces deux types d’ententes comportent une limite majeure : elles imposent un encadrement normatif serré de la gouvernance autochtone.

Par la latitude qu’elle accorde aux Autochtones, la Loi privilégie une approche qui les dispense de la nécessité d’entamer, comme condition préalable à la reconnaissance de ce droit, un long processus de négociation d’accords à la pièce. L’idée de la négociation demeure toujours, mais elle devient un outil facultatif, bien que non négligeable.

La Loi est par ailleurs tout à fait novatrice à cet égard : Il s’agit de la première loi à déployer, exception faite de la Loi sur les Indiens, un régime pancanadien destiné à mettre en place une gouvernance proprement autochtone, et ce, dans le domaine des services à l’enfance et aux familles.

La décision d’assumer cette compétence en vertu de ce régime relève de la situation de chaque communauté, note Me Caron. Cette situation se caractérise notamment par l’expérience que cette communauté a eue dans ses relations avec les gouvernements, par la taille de la communauté et par les ressources de la communauté pour adopter une loi.

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis, 53 entités autochtones (autorisées à agir au nom d’une ou plusieurs communautés autochtones), dont 9 au Québec, ont avisé les gouvernements concernés qu’ils avaient l’intention d’exercer leur compétence en matière de services à l’enfance et à la famille.

De plus, 38 corps dirigeants autochtones ont déposé une demande d’accord de coordination tripartite. Parmi ceux-ci, 11 ont adopté leurs propres lois, dont 4 qui l’ont fait sans avoir conclu un accord de coordination. Le Conseil des Atikamekw d’Opitciwan fait partie de ces derniers.

La liste complète de ces corps dirigeants autochtones est disponible en ligne sur le site du gouvernement du Canada (nouvelle fenêtre).

Les enfants autochtones sont surreprésentés dans le système de protection de la jeunesse. (Photo d’archives)
Photo : Radio-Canada / Nantou Soumahoro

  1. Pourquoi Québec s’est-il opposé à cette loi, et sur quelles bases?

Essentiellement, Québec remet en question l’autorité législative du Parlement du Canada d’adopter une telle loi selon deux lignes d’arguments distinctes.

Les Autochtones paient les frais, et ce n’est pas la première fois, des batailles juridictionnelles entre le fédéral et le provincial. Ça, c’est sûr, et c’est triste.

Une citation de Christina Caron, avocate et enseignante en droit autochtone et constitutionnel

La première question en litige porte sur la validité des normes nationales énoncées dans la Loi. Il s’agit d’une question de partage des compétences. Pour le Canada, ce sont des standards qui entrent dans sa compétence sur “les Indiens et les terres réservées pour les Indiens”. Pour le Québec, il s’agit de la compétence sur les droits civils, donc la protection de la jeunesse, explique Me Caron. La Cour d’appel a débouté Québec sur cet argument. (nouvelle fenêtre)

Il y a une deuxième question en litige, plus croustillante selon l’avocate. Le Québec plaide tout d’abord que lorsque le fédéral affirme dans un article de loi que les [Autochtones] ont un droit protégé par l’article 35 de la Constitution d’adopter leur propre loi en matière de protection de la jeunesse, le gouvernement modifie unilatéralement l’article qui, pour être modifié, devrait passer par les formules d’amendements complexes de la Constitution.

C’est ce raisonnement qui a engendré un débat fort plus complexe, d’une part, sur l’existence ou non d’un droit à l’autonomie gouvernementale en matière de protection de la jeunesse et, d’autre part, sur la source de ce pouvoir.

Selon Me Caron, seules trois sources sont plausibles : la loi fédérale, la Constitution canadienne ou un droit inhérent qui renvoie à la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA). Selon la Cour d’appel, un tel droit existe indépendamment de toute volonté politique, et il est enchâssé dans la Constitution canadienne.

Le Procureur général du Québec conteste également la règle de la prépondérance prévue dans la loi fédérale, une règle en vertu de laquelle la loi autochtone a force de loi fédérale, ce qui lui permet de l’emporter sur une loi provinciale en cas d’incompatibilité. La Cour d’appel du Québec a accueilli favorablement ce second argument.

5. Pourquoi le jugement à venir de la Cour suprême du Canada est-il si attendu?

Selon Me Christina Caron, c’est le débat sur le droit à l’autonomie gouvernementale des Autochtones qui suscitent le plus d’intérêt. C’est en effet la première fois que le plus haut tribunal au pays a l’opportunité de se pencher sur la question de l’existence d’un droit à l’autonomie gouvernementale s’appliquant à tous les Autochtones du Canada.

Est-ce que, oui ou non, les [Autochtones] au Canada ont un droit à l’autonomie gouvernementale qui implique le pouvoir de faire des lois? Si oui, est-ce que la source de ce pouvoir est constitutionnelle? Si oui, quelle est la relation entre l’exercice de ce pouvoir-là et les lois provinciales et fédérales?, énumère-t-elle.

L’avocate nous met toutefois en garde contre des attentes trop élevées quant au jugement de la Cour suprême. On a très hâte, mais peut-être qu’on a peur d’être déçu, peut-être qu’on a trop d’attentes, confie-t-elle.

Tout d’abord, sur l’idée qu’il pourrait découler de ce jugement la création d’un troisième ordre de gouvernement, elle rappelle que les gouvernements autochtones existent déjà. […] Ils ont une forme de législation et de règles écrites et non écrites déjà dans leur communauté.

Puis, le débat pourrait se limiter au pouvoir d’adopter des lois strictement en matière de services à l’enfance et à la famille, sans étendre les conclusions à un droit à l’autonomie gouvernementale général, à l’instar du jugement de la Cour d’appel du Québec.

Enfin, la Cour suprême pourrait traiter strictement de la première question en litige sur le partage des compétences. Néanmoins, les normes nationales établies sont cruciales pour améliorer la qualité des soins dans les communautés qui ne sont pas encore prêtes à exercer leur propre compétence en cette matière. Il s’agit d’une importante mesure de protection contre des préjudices que pourraient causer les provinces dans leur prestation des services à l’enfance et à la famille.

Dans tous les cas, ce jugement pourrait mettre fin aux incertitudes qui freinent actuellement les ardeurs des communautés autochtones qui s’impatientent de prendre en charge leur compétence. Se lancer dans un processus d’adoption de la loi C-92 en n’étant pas certain de l’assise juridique de ces pouvoirs en refroidit certains, souligne Me Caron.

Si la Cour confirme la constitutionnalité de la Loi, la prépondérance des lois autochtones sur celles des provinces demeurera, mettant davantage de pression sur les provinces pour négocier des accords de coordination équitables. À l’inverse, en cas de déclaration d’inconstitutionnalité, les communautés autochtones ayant entamé des discussions ou ayant conclu des accords de coordination avec les gouvernements seront plongées dans d’autant plus d’incertitude.

Simon Filiatrault

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